1906/2006

Sur les traces d'une industrie charbonnière féroce

Récits et témoignages

 

Novembre 2005

Par Laurence Masse Traversi

 

Sommaire

Introduction générale

Préambule

La catastrophe de Courrières et ses conséquences

La catastrophe de Liévin, par Charles Legrand

Les effets de la course au rendement sur la sécurité et les conditions de travail par Raymond Maënhoutte

La dangerosité du métier au fond comme au jour par Léon Simon

Les remerciements

 

1906 / 2006

Sur les traces d'une industrie charbonnière féroce

Les mauvais souvenirs sont toujours là, tenaces, pugnaces, impossible de se débarrasser de ces images morbides et poignantes qui agitent, secouent, tourbillonnent dans l'esprit de ceux qui ont été les témoins et les spectateurs de scènes d'horreur.

Les catastrophes et les accidents individuels ne rivalisent pas. L'émoi, le saisissement et la souffrance envahissent avec la même puissance ceux qui perdent un être cher.

Les anecdotes et les réflexions rassemblées dans cet ouvrage nous aident à comprendre et à mesurer les dangers qu'encouraient les mineurs au quotidien. Mais comment parler des mineurs sans évoquer la place et le rôle de leurs épouses dans cette union constamment menacée par l'accident ou la maladie. Elles sont bien là, toujours présentes, sur le pied de guerre, l'inquiétude et l'angoisse à fleur de peau.

Pourtant lorsqu'on écoute ces hommes dresser le bilan de leur carrière aux houillères, il est curieusement le même et pourrait se résumer en deux mots " aucun regret ". Surprenante presque inquiétante, cette conclusion lève le voile sur les souvenirs heureux, l'esprit de camaraderie, la solidarité et l'ambiance fraternelle qui prend le pas sur les conditions de travail difficiles, l'horreur et l'injustice.

Laurence Masse-Traversi

 

Une large partie de cet ouvrage résulte d'entretiens menés à la Maison Syndicale du Mineur de Lens, en compagnie de deux hommes passionnants et intarissables sur le sujet de l'évolution de la sécurité, des conditions de travail et de vie depuis la catastrophe de Courrières : Messieurs Louis Bembenek et André Demarez

Dans une seconde partie, Charles Legrand, témoin direct de la catastrophe de Liévin (1974), nous livre avec beaucoup de pudeur son témoignage. Son ami, Raymond Maënhoute, illustre par ses anecdotes les effets au quotidien de la course au rendement et à la production.

Enfin, le témoignage de Léon Simon, mettra en évidence la dangerosité du métier au fond comme au jour !

En prologue de chaque partie une présentation sommaire dessinera le profil des principaux protagonistes.

 

André Demarez

Mon père était mineur, faisant partie des libres penseurs, il m'a scolarisé dans une école laïque. Pour lui, il était important de séparer la famille de l'église. Contrairement aux classes souvent surchargées dans les écoles des mines, à l'école Bertheloot de Lens, nous n'étions que sept ou huit élèves par classe.

Grâce à des bourses, j'ai pu étudier dans une école de journalisme à Paris, puis travailler pour un journal d'opinion : L'Humanité. Mes origines et mes convictions m'ont amené à m'intéresser au vaste sujet de l'exploitation minière.

 

Louis Bembenek

Lorsque j'avais douze ans, j'ai fait une pleurésie, les médecins m'ont envoyé en long séjour, dans un sanatorium géré par des sœurs à Gérardmer, j'y suis resté un an ! Une année qui m'avait beaucoup marqué, quand je suis revenu chez moi, je faisais des prières sans arrêt et je voulais entrer au séminaire !

Finalement comme beaucoup d'enfants de mon âge, j'ai commencé à la mine et au bout de six mois, j'avais compris ce qu'était le monde du travail ! Très vite, j'ai pris ma carte syndicale, j'ai tout de suite senti que c'était un besoin pour moi, plus tard je suis devenu membre actif au syndicat.

 

1906

La catastrophe de Courrières et ses conséquences

Survenue le 10 mars 1906, La catastrophe de Courrières a suscité une émotion immense dans de nombreux pays. Pendant de longues années, bien des interrogations concernant son origine sont restées sans réponse. Aujourd'hui, on peut considérer qu'une erreur humaine occasionnée par le sauvetage a amplifié très largement le drame.

Le mur destiné à stopper l'incendie n'a pas été soufflé par l'explosion. Une manipulation du système d'aérage a été faite pour étouffer le feu causé par le coup de grisou et de poussière.

L'inversion de l'aérage aurait provoqué plusieurs centaines de morts par asphyxie.

Le coup de grisou suivi du coup de poussière aurait pu entraîner la mort de 350 à 400 personnes. Nous sommes très loin des 1099 morts dénombrés officiellement..

César Danglot, l'un des treize rescapés remontés après vingt jours d'errance au fond, se trouvait dans l'écurie au moment de l'inversion de l'aérage.

Un rapport a été demandé par l'assemblée nationale, pour une commission d'enquête, juste après la catastrophe de Courrières. Six hypothèses figurent dans ce rapport, dans le film documentaire de Jean Paul Victor, Monsieur Poilevé, ancien ingénieur responsable de la sécurité, les reprend une par une, et les analyse. Sur les six hypothèses mentionnées, quatre sont rapidement écartées, il en reste donc deux dont une peu probable.

Par ailleurs, l'ingénieur constate que les conditions atmosphériques le 10 mars 1906 étaient similaires à celles du 27 décembre 1974, le jour de la catastrophe de Liévin. Il existe d'autres points communs qui amènent l'ingénieur Monsieur Poilevé à établir des relations entre les causes de ces deux grandes catastrophes.

Identifier les causes pour pouvoir répondre aux questions fondamentales est primordial. Pourquoi y a-t-il eu une accumulation de grisou ? Comment s'est déclenchée l'explosion ? Est-ce qu'un coup de grisou pouvait faire un tel ravage ? Est ce qu'il y a eu un coup de poussière en même temps ?

Lors d'un coup de poussière, la température de l'atmosphère monte aussitôt à 1600°, tout fond ! Les gens victimes d'un coup de grisou sont tués par la déflagration, en général ceux qui en réchappent meurent peu de temps après parce qu'ils ont respiré une poussière brûlante qui leur a calciné les poumons. Les plaies extérieures des grands brûlés peuvent être soignés mais les brûlures intérieures sont souvent mortelles.

Lors de la catastrophe de Liévin, deux hommes sont morts très peu de temps après dans des conditions épouvantables.

 

L'organisation du sauvetage

Pour informer le monde de l'ampleur de la catastrophe de Courrières, chaque jour une carte postale était éditée. C'était, à l'époque le moyen d'information le plus rapide, le plus efficace.

Des soldats de Marseille venus prêter main forte aux sauveteurs décrivent l'horreur par des expressions telle que " je suis dans l'enfer ".

Rapidement les compagnies ont fait appel aux sauveteurs allemands car ils étaient à la pointe de la technologie minière. Cependant, lorsqu'ils sont arrivés à la gare de Billy en uniforme, la population les a accueillis à coups de cailloux.

Il faut se rappeler que le contexte politique était très tendu, la déclaration de la guerre se profilait déjà, l'Alsace et la Lorraine étaient convoitées… Malmenés par la population, les sauveteurs allemands sont repartis au bout d'une semaine en laissant leur chef et leur matériel. Ces braves gens qui étaient juste venus apporter leur aide au péril de leur vie, ont été considérés comme des espions potentiels, la propagande battait son plein à l'époque.

Il faut aussi noter que plusieurs sauveteurs y ont laissé leur vie.

 

1099, un chiffre estimatif

On ne connaît pas exactement combien de vies a emporté cette catastrophe, 1099 est le chiffre officiel, pourtant on peut penser qu'il est encore plus important. En effet beaucoup d'enfants de l'assistance publique étaient placés au fond pour terminer des chantiers urgents. Parfois ce sont des mineurs, eux-mêmes qui faisaient descendre leurs jeunes enfants pour terminer plus rapidement un secteur.

Ces enfants de l'assistance publique n'ont pas tous été réclamés et donc pas tous été dénombrés.

 

Le grisou

Le grisou est composé en grande partie de méthane, c'est un gaz inodore très dangereux. A Liévin, en 1974, les mineurs disposaient de détecteurs de grisou électroniques. Mais la télégrisoumétrie a montré ses limites. Le détecteur prend la mesure de l'air de la pièce, mais si une poche de gaz est coincée dans un coin, le détecteur passera à côté. Avant ce type d'instrument, les mineurs utilisaient la lampe à benzine en se fiant à la flamme, et surtout ils se repéraient aux souris. Comme au fond il y avait les écuries, des souris vivaient dans les galeries. Au moment de leur briquet, les mineurs leur donnaient à manger, ils les soignaient car elles servaient d'avertisseur. Lorsque les souris fuyaient, ce n'était pas bon signe !

Il faut des conditions particulières pour que le grisou explose, une étincelle ne suffit pas, il faut qu'il y ait un taux suffisant d'oxygène.

 

L'exploitation minière d'hier, présente encore des dangers aujourd'hui

Aujourd'hui le grisou est encore présent mais comme on n'a plus de soucis d'aération, il n'y a pas suffisamment d'oxygène pour provoquer une explosion, cependant ce gaz reste toujours dangereux car il a une propension à remonter.

Il y a quelques années à Wingles, une fuite a été détectée de façon très inattendue. Un puits de mine, obstrué par des remblais et par un bouchon en béton armé d'une hauteur de plusieurs mètres se trouvait sur un axe emprunté par les pigeons voyageurs. Quand les gens faisaient des concours de pigeons non loin de ce site, ils s'apercevaient que leurs pigeons ne rentraient plus directement dans leur pigeonnier, en fait ils ne passaient plus autour du puits. Suite à cette remarque, une étude a été réalisée et la fuite a été détectée. C'était très dangereux étant donné la densité du bouchon.

En fait, le grisou s'échappait entre les remblais, puis de part et d'autre du bouchon pour ensuite se dégager dans l'atmosphère. Personne ne l'avait détecté, sauf les pigeons !

Le seul moyen de dégager le grisou a consisté à percer ce bouchon. C'est un ingénieur retraité des mines qui a trouvé le moyen de percer le béton avec de l'eau projetée sous très haute pression. Le grisou a pu s'échapper, et se consumer en brûlant pendant plusieurs semaines.

Le même phénomène s'est produit à Liévin juste au dessous du chevalet situé à proximité de Carrefour, là aussi, il y a eu une percée de grisou. Les pompiers sont intervenus et ont fait leur travail. A l'époque, le capitaine des pompiers avait expliqué qu'une simple allumette aurait pu faire fondre le chevalet en un quart d'heure.

On peut citer également un autre cas dans la région, un phénomène semblable s'est produit il y a quelques années à Noeux-les-Mines, au siège des établissements Leroy-Merlin. La direction s'était aperçue que les gens avaient tendance à s'assoupir dans la salle de réunion. Encore une fois, le grisou était remonté et avait réussi à s'infiltrer à travers les locaux. Cet incident aurait pu provoquer des dégâts considérables !

Le grisou est toujours présent, dans la région… Nous sommes sur une vraie cocotte minute !!!

Le charbon est plus ou moins " grisouteux " selon sa nature. Dans le secteur, la fosse 7 d'Avion était considérée comme l'une des fosses les plus dangereuses. Vingt-et-un mineurs ont été tués par un coup de grisou en 1965.

Aujourd'hui, il existe sur ce site un centre de captage, le grisou est pompé dans les tailles et renvoyé dans les canalisations du gaz de ville par la société Métamine. Deux stations de ce type existent dans la région à Avion et à Divion.

 

Les remblais

Tous les puits n'ont pas été remblayés. Certains l'ont été de façon peu scrupuleuse. L'un des puits sur Lens, par exemple, a été remblayé avec des aiguilles de piqueurs ! La dangerosité du grisou n'a pas été considérée à sa juste mesure !

L'ingénieur Poilevé, nous a dit qu'il existait véritablement des zones sensibles sur lesquelles on a construit des bâtiments qui, en cas de problème, pourraient s'écrouler comme des châteaux de cartes.

 

Le problème de l'eau

En permanence dans les puits on pompait l'eau pour la renvoyer dans la Deûle, car on avait dépassé la nappe phréatique. Aujourd'hui, on a arrêté une partie importante du pompage, mais l'eau qu'on appelle exhaure, (ancienne eau de mer) remonte. Si elle atteignait la nappe phréatique ce serait une catastrophe écologique considérable dans la mesure où il n'y aurait plus d'eau potable dans le Nord Pas-de-Calais. Certaines villes comme Avion effectuent des travaux pour conserver l'eau car on sait très bien qu'à un moment donné la nappe phréatique sera rattrapée par le bras de mer.

Il y a eu un grand débat à l'assemblée nationale sur les dangers potentiels dans les bassins miniers. C'est le Bureau de Recherche de Géologie Nationale qui a repris les dossiers de Charbonnages de France.

 

Louis

Il est vrai que l'eau représentait un danger important dans certains puits. Quand je travaillais dans un traçage du Douaisis, on a dû stopper la voie tellement l'eau s'y infiltrait. Des géomètres étaient venus inspecter et nous avaient fait arrêter complètement les travaux. Je me souviens que l'on avait dû boucher la voie en bétonnant, les risques d'inonder complètement le puits étaient très importants.

 

Les affaissements miniers

La gare de Lens et ses voies sont montées sur vérins hydrauliques. Régulièrement, la gare a dû être rehaussée de 2 ou 3 centimètres si bien qu' aujourd'hui, les vérins sont montés au maximum. Autrefois, il n'y avait pas de souterrain à la gare de Lens, on passait d'une voie à l'autre en surface. Les travaux ont pu être réalisés dès lors que les affaissements miniers ont été considérés comme stables.

 

Le 10 mars 1906, une date qui marque une cassure dans l'histoire de l'exploitation minière

 

Le logement

La catastrophe de Courrières a entraîné de grands bouleversements. On peut considérer que la première grande victoire des mineurs juste après ce drame épouvantable a concerné le logement. Réussir à maintenir les veuves des mineurs dans leur logement n'était pas gagné d'avance. Cependant, face aux soulèvements des mineurs et à la protestation des députés de l'époque Emile Basly et Arthur Lamendin, les compagnies ont dû céder. Les femmes de mineurs ont alors pu continuer à bénéficier du logement minier. Cette avancée est encore d'actualité aujourd'hui, les veuves sont toujours considérées comme ayants droit.

 

Le mouvement syndical prend de l'ampleur

Après mars 1906, le mouvement syndical s'est très largement développé, il a pris une ampleur considérable, les ouvriers ont pu mesurer leur poids face au pouvoir lors des

grandes grèves qui ont suivi la catastrophe.

La maison syndicale a été construite en 1911,

détruite pendant la grande guerre et reconstruite en 1922 à l'identique.

Le pouvoir, symbolisé par les grands bureaux, et le contre-pouvoir, par la Maison Syndicale du Mineur étaient distancés par quelques centaines de mètres.

Les syndicats ont cherché des moyens efficaces d'expression, en mettant en place " La Voix du Mineur " qui devient très vite " La Tribune du Mineur ", le journal est à l'époque le seul moyen d'information.

 

Le premier centre de secours

Suite à la catastrophe, on se rend compte que les compagnies n'étaient pas équipées pour le sauvetage, des dispositions sont alors prises. Le premier centre de secours est créé, des stages y sont organisés, des expériences en matière de sauvetage et d'équipements y sont menées. De là est née une certaine prévention, et des avancées certaines du point de vue de la sécurité.

On installe dans les galeries les fameuses Taffanel. En libérant un rideau de craie, ce système jouait le même rôle qu'une porte coupe feu.

 

Amélioration des conditions de travail

Après la catastrophe de Courrières, on constate aussi des améliorations au niveau des conditions de travail et des conditions de vie. La mise en place des huit heures de travail régule le temps de travail du mineur. L'augmentation des salaires améliore un peu son quotidien.

Le temps de Germinal est bien révolu, les compagnies n'ont plus le droit de faire descendre des femmes et des jeunes enfants au fond.

Jusqu'à la libération l'âge minimum pour descendre est de 14 ans. Il faudra attendre les nationalisations pour que l'âge minimum soit de 16 ans.

 

Madame Sorgue

Elle était la compagne de Benoît Broutchoux, (un grand anarchiste, un très grand syndicaliste), son rôle auprès des femmes a été marquant. Elle allait à leur rencontre pour leur faire passer des messages parfois forts ! " Ne faites plus d'enfants, il n'y aura plus d'exploités ", elle leur donnait les rudiments de la contraception, ce qui ne plaisait pas au curé qui lui envoyait la police.

Benoît Broutchoux et Mme Sorgue ont passé une bonne partie de leur vie en prison au nom de leur conviction.

 

35 années plus tard…des conditions de travail encore très rudes

1941, première grève pendant l'occupation

En mai, juin 1941, les mineurs entament une grève qui durera quasiment un mois.

C'est la première grève pendant l'occupation. Cette grève a été le plus grand mouvement social de toute l'Europe face à l'occupant. La répression a été sévère, les gens ont été déportés ou fusillés à la citadelle d'Arras ou ailleurs.

D'ailleurs au mémorial d'Arras, on peut constater qu'une grande majorité de résistants fusillés sont des mineurs..

Le plus grand mouvement de résistance face à l'Allemagne nazie a eu lieu dans le Bassin Minier.

 

Le rôle des femmes

Le rôle des femmes lors de cette grande grève fut déterminant. Il faut rappeler que souvent les jeunes filles du Bassin Minier partaient travailler en bus vers quatre heures du matin, dans les usines textiles de Lille, Roubaix ou Tourcoing pour des patrons qui n'étaient autres que les administrateurs des compagnies minières. Certaines ont participé à la grève sur leur lieu de travail !

Par ailleurs les épouses des mineurs s'organisaient pour dissuader les mineurs de descendre à la fosse, elles menaient des actions pour obtenir leurs revendications, à savoir une augmentation des rations de viande, une réduction du temps de travail et une augmentation des salaires. La marche des femmes jusqu'aux Grands Bureaux de Billy-Montigny reste un épisode mémorable de cette grève.

Leur détermination a porté ses fruits, en effet certaines de leurs revendications ont été obtenues. Après la grève, les mineurs avaient le droit à 5 litres de vin par mois, un litre de genièvre, de la saucisse, du beurre, tout cela sur présentation de tickets. Ces suppléments étaient distribués sur les carreaux de mine à chaque quinzaine.

A la libération, ce service d'approvisionnement des houillères a été repris par les syndicats qui ont créé les CCPM, Coopérative Centrale du Pays Minier, et leurs succursales. A une époque, il y avait près de 300 C.C.P.M. ! Dans chaque village où il y avait un puits de mine, on trouvait une coopérative. De ce fait les houillères ont monté aussi leur coopérative. Finalement, depuis la naissance du Bassin Minier, il y a toujours eu une concurrence entre les compagnies minières (et ensuite les houillères nationales) et les municipalités, qui en général étaient ouvrières.

 

Emilienne Mopty, une femme qui a marqué son temps

En étant à la tête de la manifestation des mineurs en 1941, elle a organisé la marche des femmes à Billy-Montigny. Elle dut ensuite se réfugier dans la clandestinité pour continuer la lutte contre l'occupation Hitlérienne. Elle se fera prendre par la gestapo en septembre 1942 et sera décapitée sur la place de Cologne à l'âge de 36 ans.

 

Les jeunes filles

Les jeunes filles du Bassin Minier, travaillaient généralement dans les usines textiles de l'agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing jusqu'à leur mariage. Souvent, elles épousaient un mineur. Ensuite, elles arrêtaient de travailler pour s'occuper de leur mari. Plus précisément, on peut dire qu'elles devenaient l'auxiliaire des mineurs. En fait, elles créaient toutes les conditions nécessaires pour alléger au maximum leur peine. Au lever, elles préparaient le café et le briquet, et mettaient en route le feu. Au temps où les lavabos n'existaient pas à la mine, les femmes préparaient une bassine d'eau chaude, pour le retour de leur mari.

Lorsqu'il avait quelques minutes de retard, l'inquiétude les gagnait immédiatement. Elles n'avaient jamais la certitude que leur mari allait rentrer, l'anxiété était quotidienne.

Bien que n'allant plus à l'usine, ces femmes ont réussi à se forger un esprit de classe, qui les a amenées à jouer un rôle capital pendant la guerre.

 

La bataille du charbon

Les conditions de travail sont rudes, pendant la bataille du charbon (de 1944 à 1947), les mineurs ont produit énormément dans des conditions difficiles, notamment de sous-alimentation. Sortant de la guerre, ils avaient une constitution fragile, qu'ils ont encore malmenée en travaillant dans des conditions très pénibles. Le rendement est devenu primordial, on en vient même à exploiter les staux. En effet, autour de certains grands édifices comme les églises, jusqu'alors un périmètre (constituant des réserves qu'on appelait les staux) n'était pas exploité. Cependant pour gagner la bataille du charbon ces réserves ont alimenté la production. Autour de l'église de Lens par exemple, de gigantesques travaux ont dû être entrepris pour assurer sa conservation. Il fallait faire repartir le pays coûte que coûte, et pour cela il fallait atteindre les 100 000 tonnes par jour.

Au nom de l'indépendance énergétique de la France, les syndicats ont participé à cette bataille du charbon, en donnant des récompenses aux mineurs. On offrait un vélo, ou un cochon, aux effectifs qui produisaient le mieux, c'était la course à la meilleure taille. Même si fort heureusement, les puits n'avaient pas été endommagés par les Allemands comme lors de la première guerre, la production s'effectuait dans des conditions précaires, le matériel étant vétuste et dépassé.

Est-ce une relation de cause à effet ? Toujours est-il que quelques années plus tard, la silicose faisait des ravages !

 

La silicose

Les femmes de mineurs silicosés sont devenues de véritables aides-soignantes. C'est terrible pour une femme de soigner un silicosé, les poumons sont comme cimentés, il arrive un moment, où le mineur ne peut plus respirer, il s'étouffe. La poussière de silice s'installe dans les bronches et s'accumule contrairement à la poussière de charbon qui était moins nocive car elle se crachait. Les risques de silicose étaient plus élevés pour les gens qui travaillaient au traçage, dans les bowettes.

On dénombre toutefois quelques femmes silicosées qui ne sont jamais descendues. En travaillant au triage, une femme de constitution fragile pouvait être atteinte de la silicose.

 

Louis

J'ai connu des italiens qui travaillaient dans les traçages, au bout de quatre ou cinq ans, ils étaient déjà bien atteints car ils travaillaient dur et se nourrissaient mal. Je les revois encore avec un quignon de pain, un oignon et une tomate. Leur alimentation était pauvre car ils envoyaient plus de la moitié de leur paye en Italie. Un mineur devait se nourrir correctement, il lui fallait certaines vitamines et un minimum de graisse, qu'il brûlait en travaillant.

 

Témoignage anonyme

Mon mari est mort de la silicose. Un jour, il a passé une visite médicale, il ne se sentait pas malade mais c'était une visite obligatoire. Quand il a reçu un courrier avec ses résultats, il a appris qu'il était malade, silicosé à 5%. Je m'en souviens très bien, nous venions juste de nous marier. Il avait commencé à travailler à la mine à 14 ans, je ne comprends pas comment une mère pouvait envoyer son fils à la mine ! C'était un travail dur, fatigant, poussiéreux, mais il aimait son métier, peut être trop ! Il lui arrivait souvent d'aider l'un ou l'autre à finir sa tâche, il n'était pas payé plus, mais il le faisait quand même. On ne soigne pas la silicose : la maladie évolue tout le temps ! Il a été mis en préretraite vers 1950 au bout de 36 ans de service, on était déjà en période de récession. Entre temps, la maladie s'était largement aggravée, ses deux grandes bouteilles d'oxygène étaient le seul moyen de le soulager, sinon il s'étouffait. Il a commencé à en avoir besoin toute la journée, puis jour et nuit.

C'était une souffrance terrible pour lui, mais aussi pour l'entourage. Le voir souffrir et ne rien pouvoir faire était difficilement supportable. A la fin, il ne pouvait même plus faire sa toilette, il restait alité avec ses deux grandes bouteilles à proximité, il était silicosé à 100%.

J'ai eu une drôle de vie, pendant des années, j'ai soigné mon mari. Lorsqu'il est décédé, je me suis occupée de ma belle mère puis de mes parents. Maintenant, je suis seule, alors je viens passer quelques après-midi au club.

 

Louis

Je me souviendrai toujours, à l'époque j'avais douze ou treize ans, j'avais un oncle silicosé qui dormait dans la grande pièce du rez-de-chaussée à côté de ses gros ballons à oxygène que l'on rechargeait en pharmacie. En plein hiver, je l'ai vu ouvrir la fenêtre et se jeter dans la neige, il n'en pouvait plus ! Deux jours après, il est mort !

 

De nombreuses jeunes femmes veuves

Les femmes ne voulaient pas se remarier pendant leur veuvage car elles auraient perdu leur droit, elles préféraient le concubinage… Beaucoup de veuves étaient très jeunes, elles avaient entre 30 et 40 ans.

A deux ou trois cents mètres de la maison syndicale, on pouvait se rendre au bal des veuves, c'était un nommé Alexandre qui tenait la salle.

Du côté d'Abscons, il y a " le coron des veuves " !

Soigner un silicosé était très pénible ! Le plus terrible, c'est qu'il ne pouvait même pas profiter de sa pension, ses déplacements étaient très réduits. Seuls ses proches pouvaient profiter de son argent.

 

Une maladie reconnue tardivement

Avant la libération, la silicose n'était pas reconnue comme maladie professionnelle, il est donc difficile d'en mesurer les dégâts.

A l'époque des nationalisations, Léon Delfosse, syndicaliste occupant la responsabilité de directeur délégué au personnel du Bassin Minier Nord, Pas-de-Calais, s'est intéressé à ce fléau et a pu changer le cours des choses.

Il s'est entouré de médecins pour étudier comment la maladie était considérée en Angleterre, en Allemagne et en Belgique. Dans ces trois pays la silicose était depuis longtemps reconnue comme maladie professionnelle alors qu'en France on parlait de l'emphysème du mineur.

En 1947, la maladie est enfin reconnue, Léon Delfosse permet alors aux mineurs de profiter durant leurs congés du château de La Napoule sur la côte d'Azur.

 

Les congés payés

Dès 1908, bien avant le front populaire, les mineurs obtiennent une semaine de congés payés. D'une certaine manière les ouvriers mineurs sont en avance !

Mais il faudra attendre 1936 pour qu'ils prennent de véritables vacances. Les départs en train sont nombreux, mais beaucoup partent à Malo-les-Bains à bicyclette ou en tandem.

Au début, les puits ne fermaient pas du tout pendant la période estivale, les mineurs prenaient leur congé à tour de rôle. Ce n'est que vers 1968 que les puits fermaient l'été…C'était le repli, la fermeture définitive était déjà en route, à l'ouest du bassin la fermeture avait commencé dès les années cinquante avec la mise en place du plan Schuman et la CECA, (la communauté européenne du charbon et de l'acier)

Les fermetures ont commencé à l'ouest du bassin, pour toucher ensuite notre secteur puis la région de Valenciennes. Le dernier puits a mis la clef sous la porte en décembre 1990, à Oignies.

 

Les accidents individuels

Les accidents individuels sont très difficiles à dénombrer, il y en eut énormément. Tous les accidents devaient faire l'objet d'un rapport que la presse syndicale reprenait.

Les accidents individuels ont résulté d'une conjonction de circonstances.

La course à la production du charbon au plus bas prix, a certainement une grande responsabilité dans de nombreux accidents individuels.

La rivalité entre l'énergie charbonnière et pétrolière poussait les mineurs à produire toujours plus. On leur disait que s'ils ne produisaient pas suffisamment de charbon, le pétrole remporterait la bataille.

Il faut se mettre à la place du mineur pour comprendre les risques qu'il prenait quotidiennement.

 

Louis

Lorsque je travaillais en traçage de galerie et en taille, on était payé à la tâche, c'est à dire exactement pour ce que l'on faisait. Si on voulait gagner plus, bien gagner sa journée, on passait outre quelques mesures de sécurité pour gagner du temps. Malgré notre connaissance du danger, on ne travaillait pas dans des conditions de sécurité normales, c'était humain !

Souvent, quand on travaillait bien, que l'on estimait avoir bien gagné sa journée, la direction analysait ce que l'on gagnait, et quand elle estimait que c'était trop, elle nous envoyait un contrôleur qui augmentait notre tâche pour le même gain. On se retrouvait dans une spirale infernale. Comme on disait " la direction nous tirait au prix ". Des mouvements de grèves s'organisaient entre les ouvriers qui travaillaient à la tâche pour que la direction revoit les barèmes.

Tous les mineurs n'étaient pas payés à la tâche, il y avait les abatteurs et les ouvriers qui oeuvraient dans le traçage des galeries.

 

Des traitements différents pour les étrangers

 

Louis

Des injustices entre les ouvriers, j'en ai connues. Celle dont je me souviendrai toute ma vie, concerne un Marocain, elle date de 1969.

A l'époque, je préparais l'Ecole des Cadres, j'étais chef de taille, c'est à dire responsable d'une taille. Chaque matin, je distribuais le travail à une trentaine d'ouvriers en leur donnant un parcours à faire et en fin de poste, je notais ce qu'ils avaient fait. Ensuite, je donnais le plan au comptable chargé de leur adresser une fiche de paie individuelle et quotidienne.

Parmi mes hommes, deux Marocains venaient d'arriver. Je ne les connaissais pas mais ils connaissaient leur métier pour avoir déjà travaillé dans d'autres fosses du Pas-de-Calais. Ils avaient donc une certaine expérience. Comme ils étaient arrivés à deux, je les ai mis ensemble. Ils ont effectué leur parcours tout à fait normalement, c'était très satisfaisant.

Chaque jour, les mineurs recevaient une petite fiche individuelle, ce qui leur permettait de contrôler leur salaire.

Les Marocains ont été payés pendant trois ou quatre quinzaines comme tout le monde jusqu'au jour où je me suis aperçu que le montant inscrit sur leur fiche était inférieur de 500f par rapport aux autres ouvriers. Leur fiche de paie était de 3500f alors que les autres mineurs gagnaient 4000f pour le même travail.

Etonné, je leur ai dit qu'il y avait une erreur sur leur fiche individuelle, mais que ce n'était pas grave, j'allais régler ça rapidement avec le comptable.

En fin de poste, je me suis donc rendu à la comptabilité pour corriger l'erreur, qui en fait n'en était pas une ! C'est ce que m'a signifié le comptable, que je connaissais bien, en ajoutant qu'il ne pouvait pas m'en dire davantage. Indigné par cette injustice, je suis allé voir l'ingénieur pour avoir des explications. " Vous faites l'école des cadres ? " me dit-il, " alors ne vous occupez pas de ça ! "

Je me suis dit que ce n'était pas possible, les autochtones se faisaient déjà exploiter, on ne pouvait pas surexploiter ces deux mineurs marocains !

En sortant du bureau, j'en ai parlé à un délégué CGT, nous sommes allés trouver le directeur en le menaçant d'entamer une grève. Sous la menace, le directeur a cédé, l'affaire a pu se régler mais le lendemain lorsque je me suis présenté au travail, on m'a demandé de reprendre mon piqueur, je n'étais plus chef de taille …

Recrutement et intégration

Les mineurs marocains étaient recrutés par Monsieur Mora, un véritable marchand d'hommes, qui avait servi dans l'armée française. Les houillères l'avaient embauché et élevé au grade d'ingénieur pour aller recruter des hommes directement dans les villages marocains. Il était attentif à la dentition et à la musculature des candidats pour faire son choix.

Il était très difficile d'amener les Marocains à adhérer à un syndicat, ils n'avaient pas la culture de la société, ces hommes n'avaient pas un état d'esprit revendicatif comme pouvait en avoir les Français ou les Algériens. La peur de l'expulsion était omniprésente, de plus, ils venaient avec des contrats de dix-huit mois, renouvelables selon la bonne volonté de la direction. Pour eux, il valait mieux ne pas se faire remarquer !

Le traitement des ouvriers marocains n'était pas le même que celui des autres ouvriers. A l'époque, ils n'avaient pas le statut du mineur, ils ne pouvaient donc pas bénéficier des mêmes avantages que les mineurs français. Le mouvement syndical s'est battu pour que les Marocains puissent bénéficier de ce statut, cela leur a permis de faire venir leur famille en France, c'est ce que l'on a appelé sous la présidence de Valérie Giscard d'Estaing le regroupement familial, ils ont pu également bénéficier de la gratuité du logement.

Il ne faut pas oublier que l'on a fait venir les Marocains dans le cadre d'un programme de fermeture du bassin pour ne pas embaucher des autochtones.

Pour les Algériens, c'était différent, ils étaient français, l'Algérie était un département français, le statut du mineur leur était proposé automatiquement.

Concernant les Polonais, l'embauche se traitait directement d'état à état. Les Polonais sont arrivés dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale. Cette main d'œuvre étrangère, venue surtout de Westphalie, devait faire face à la pénurie d'hommes. En Pologne sévissait un très fort taux de chômage.

Lors de la crise de 1929, des milliers de Polonais sont renvoyés. Les autorités renvoient en priorité les gens engagés politiquement. Un nommé Edward Gierek fera partie de cette vague de Polonais reconduits rapidement à la frontière. En 1970, Edward Gierek deviendra président de la république polonaise jusqu'en 1980.

Il faudra que les Polonais attendent 1936 pour bénéficier des mêmes avantages que les mineurs français.

Les Polonais se sont bien intégrés, quand un Polonais quittait son pays pour venir travailler en France, il quittait la misère et avait vraiment envie de se sortir de la mouise par son travail. Ils étaient plus volontaires que nous, à l'école, ils étaient bien souvent les meilleurs élèves. A l'armée beaucoup de gradés étaient polonais.

Se sortir de la pauvreté sans forcément passer par la lutte, gagner sa promotion, se montrer toujours sous son meilleur jour…c'était une constante chez les Polonais !

 

Louis

Le quotidien des Polonais n'était pas facile. Je suis d'origine polonaise, mon père a été tué à la mine, en 1942 pendant la guerre, lors d' un accident individuel. Comme ma mère avait gardé sa nationalité, j'étais considéré comme fils d'étranger. Bien que né en France, à l'âge de 12 ans, je ne pouvais donc pas prétendre à la bourse !

A 16 ans, j'ai dû faire une carte d'identité accordéon, comme on disait, qui ne me donnait pas le droit de résider dans n'importe quelle région de France.

A 18 ans, j'ai reçu une convocation pour me présenter au recensement, à la mairie, on m'a demandé si je voulais devenir français ou rester polonais, c'était évident pour moi, j'étais né en France, je ne connaissais que la France, bien sûr que je voulais être Français !

J'ai effectué mon service militaire pendant quatre mois, comme tous les mineurs à l'époque. Au bout de quatre mois, on m'a libéré pour travailler à la mine, avec l'obligation d'y travailler aussi longtemps que ma classe ne soit pas libérée. Malgré ma participation au service militaire, lorsque je me suis marié, il a fallu que je demande l'autorisation à mon lieutenant colonel de garnison et la police a mené une enquête dans ma famille ! Pour l'administration, j'étais étranger, le livret militaire ne me donnait en fait aucun droit !

Par la suite, j'ai dû demander une naturalisation pour être considéré comme Français à part entière.

 

Les conditions de logement

Les mineurs logeaient dans des logements à la limite de l'insalubrité, ils vivaient véritablement dans des conditions précaires. Malgré cela bien souvent dans les maisons des mineurs, il y avait un lieu où on n'allait pas sans mettre les patins. Chez les mineurs, on vivait plutôt retiré, quitte à faire une baraque derrière, les mineurs préféraient vivre dans la baraque et garder une pièce impeccable !

Pas de salle d'eau, pas de wc à l'intérieur, pas de chauffage central, il n'y avait aucun confort !

 

1963, une grève importante

En 1963, il y a eu une grande grève où la solidarité nationale a joué un rôle majeur, les mineurs ont été accueillis dans la région parisienne par d'autres ouvriers qui travaillaient chez Renault ou chez Citroën. Ils logeaient chez eux dans leur HLM. Surpris des commodités, ils ont trouvé que c'était l'Amérique, pas besoin de faire chauffer de chaudron, le logement était très confortable. De plus, comme le comité d'entreprise de Renault offrait à ses salariés des billets pour aller au théâtre, les ouvriers emmenaient les mineurs voir des spectacles !

Quand ils sont revenus dans le Bassin Minier, ils se sont battus pour vivre dans les mêmes conditions, leur condition précaire n'était pas une fatalité !

C'est véritablement la solidarité nationale qui leur a fait prendre conscience de leur condition de vie médiocre.

 

Louis

La grève

je me souviens très bien de cette période. Chaque matin, j'assistais à une réunion au cours de laquelle on décidait de la tournure de la grève. Pendant tout ce temps, les quinzaines n'étaient pas versées, heureusement le mouvement de solidarité s'est développé très vite, chez les commerçants de la région. On fonctionnait au carnet, c'est à dire à crédit notamment dans les coopératives des houillères.

On allait faire des quêtes un peu partout dans la région parisienne, où l'on était très bien accueilli. Les enfants de mineurs ont même été invités pendant les vacances dans certaines familles de la banlieue parisienne.

 

Le début des rénovations

De nombreuses villes du Pas-de-Calais se sont jumelées avec des villes de la région parisienne. Même après avoir obtenu 80% de leurs revendications, les mineurs n'ont pas voulu reprendre le travail sans avoir la certitude de pouvoir vivre dans un logement décent. Cette période marque le début de l'amélioration des cités minières et parfois de la rénovation, on peut penser à la cité des aviateurs à Bruay en Artois en 1964.

Dans beaucoup d'endroits à la fin des années soixante, une pièce était ajoutée, dans laquelle, il y a avait une salle d'eau et des toilettes. Les syndicats ont demandé de la rénovation et non de l'amélioration et aussi une réhabilitation des cités par la création d'espaces verts. Une association a été créée l' ADLM, Défense des Logements Miniers, cette grande association existe encore, les comités locaux mènent des actions et jouent un rôle important entre les locataires, les ayants droit et la Soginorpa.

Au début des années soixante, pour pallier ce manque, les houillères ont construit des maisons Camus. Ces maisons existaient aussi en plain-pied, aujourd'hui certaines d'entre elles sont très bien rénovées, avec le chauffage central et une bonne isolation…

 

Louis

Quand ma mère est décédée en 1977, elle habitait encore " à deux ménages", c'est à dire dans une maison qu'elle partageait avec un autre couple. De même, lorsque je me suis marié au début des années soixante, on habitait " à deux ménages ". On avait une petite cuisine commune et il fallait traverser la cour pour aller dans la chambre à coucher. A l'époque il n'y avait pas assez de logements.

On pense toujours que les ayants droit ont le logement gratuit. Or, en France, sur les 200 000 ayants droit mineurs seulement 50 000 sont logés, 150 000 personnes ne reçoivent qu'une maigre indemnité, la même indemnité que celle fixée en 1951. Elle s'élève à moins de 100 € par mois. De nombreuses personnes ne savent pas que le mineur célibataire n'a pas le droit au logement, même s'il a fait toute sa carrière à la mine, qu'il soit homme ou femme, il reçoit simplement l'indemnité. Concernant le chauffage, le célibataire ou la veuve ne touche que les 2/3 de ce que perçoivent les couples.

Le statut du mineur, écrit et signé au lendemain de la guerre, avec l'accord des organisations syndicales correspondait à une époque, aujourd'hui les temps ont bien changé mais le statut reste identique.

Dans les statuts du mineur, il est stipulé que le logement est fait pour le mineur en activité, concernant les retraités, il s'agit juste d'une tolérance, ce qui veut dire qu'en cas de pénurie de logement, la veuve ou le retraité n'a le droit qu'à une indemnité. Jusqu'à présent, il y a eu une certaine reconnaissance du point de vue des différents gouvernements qui se sont succédés au nom de la bataille du charbon au lendemain de la guerre.

 

27 décembre 1974,

42 victimes à la fosse Saint Amé de Liévin

Entretiens avec Raymond Maënhoute et Charles Legrand

 

Raymond Maënhoute

Mes parents étaient belges. Ma mère n'avait pas eu la chance d'aller à l'école et mon père, lui non plus, n'était pas très instruit. Lorsque je rentrais de l'école, je devais me débrouiller seul, ce n'était pas facile mais j'ai quand même réussi à obtenir mon certificat d'études ! A 14 ans, je suis parti m'embaucher à la mine avec ma mère, à l'insu de mon père car il aurait préféré que je fasse autre chose, mais à part aller travailler à la fosse, il n'y avait rien d'autre dans la région ! On n'était pas riche, il fallait que je travaille ! Trois ans plus tard, mon père décédait d'un cancer qui s'était déclaré suite à une blessure.

De 14 à 18 ans, j'ai suivi des cours de perfectionnement au centre de formation professionnelle, il y avait de nombreux ateliers ( de peinture, de menuiserie…) et aussi des cours de français, de mathématiques…

Par la suite, je suis allé à l'école des cadres pendant deux ans pour devenir agent de maîtrise.

 

Charles Legrand

Fils de mineur, j'ai commencé à la mine comme galibot. Je n'ai pas souhaité sacrifier ma jeunesse en suivant des cours et en continuant mes études, de toute façon, on n'était pas mieux considéré par les chefs.

En 1974, j'exerçais le métier de boutefeu à la fosse 3 de Lens, le 27 décembre, j'étais au fond lors du coup de grisou !

Si j'avais eu un garçon, jamais je ne l'aurais envoyé à la mine.

 

Ma lettre de remerciements

 

Monsieur Charles Legrand,

le 16 janvier 1975

Houillère du Bassin Minier du Nord Pas-de-Calais,

Unité de production de Lens.

Au nom des houillères de production de Lens, au nom des familles de victimes et en mon nom personnel, je tiens à vous exprimer mes sincères remerciements pour la part active et efficace que vous avez prise aux opérations de sauvetage lors de la catastrophe de la fosse 3 de Lens. Vous avez fait preuve dans ces circonstances dramatiques d'un courage et d'un dévouement exceptionnel.

Je vous prie d'agréer monsieur ma gratitude

Signé le chef de L'U.P. (le chef de tout le groupe de Lens)

 

Toute la lumière sera faite

A l'époque Jacques Chirac était premier ministre, je me souviens l'avoir entendu déclarer le jour des obsèques, " toute la lumière sera faite… ". Finalement, on n'a jamais réellement su ce qui s'était passé.

 

Un coup de grisou

A l'occasion des fêtes de Noël, la fosse avait fermé pendant quatre jours, seuls quelques ouvriers et les gaziers avaient repris la veille pour préparer la rentrée des mineurs le 27 décembre. Les contrôles concernant la teneur de l'atmosphère en grisou et en puteux avaient été faits.

Tout comme le grisou, le puteux est un gaz dangereux car il a la propriété d'être lourd et donc de former des nappes au niveau du sol. Si un ouvrier s'asseyait pour manger et par mégarde s'assoupissait, le puteux pouvait l'asphyxier.

Ce qui est certain, c'est qu'il y a eu un coup de grisou car une flamme gigantesque est passée à toute vitesse dans le sens contraire de l'air. En effet, l'air circulait en descendant tandis que le feu est remonté. Les mineurs ont été projetés par la déflagration, brûlés, écrasés par des débris, on les a retrouvés sans un cheveu, c'était affreux !

S'il y avait eu un coup de poussière, il n'y aurait sans doute eu aucun survivant.

 

J'ai eu de la chance

Pour ma part, j'ai eu un sacré facteur chance ! C'est le puits qui m'a sauvé, je venais juste de le traverser pour aller de l'autre côté. Il n'y a eu que quelques rescapés : le chargeur a pu en réchapper, un autre mineur a été protégé par un morceau de toile, le responsable de l'outillage a, lui aussi, eu beaucoup de chance, avec la déflagration, la porte du coffre à outils s'est refermée brusquement, ses camarades ont été brûlés mais lui n'a rien eu !

Comme on faisait des fusions entre différents puits, il y a des gens qui travaillaient habituellement au quatre et à qui on avait demandé ce jour là, de travailler aux six sillons !

Je n'ai jamais voulu parler de cette catastrophe. J'ai été terriblement choqué. Cette nuit encore, je vais revoir tous mes copains et des images horribles !

Heureusement que ma famille et mes amis m'ont bien entouré après la catastrophe.

C'était un véritable carnage ! On a retrouvé des hommes avec leurs lunettes fondues sur le visage. Chaque fois que je remontais un corps j'entendais les familles me crier " Hé Charlot ! Est ce que mon homme est vivant ? ", c'était très dur !

Il devait être six heures du matin lorsque cet accident a eu lieu, les hommes venaient juste de descendre. On a remonté des cadavres toute la journée. Ce n'était pas facile de brancarder au fond de la mine et le quartier était très étendu, des hommes ont été tués sur plusieurs centaines de mètres, il a fallu aller rechercher des sondeurs qui étaient presque au 1 de Liévin.

 

Le juge Pascal

Lorsque l'on a eu une vie bien rangée et que du jour au lendemain vous recevez une convocation pour rencontrer le juge Pascal au tribunal de Béthune, même en ayant la conscience tranquille, ça fait drôle ! Les ingénieurs me regardaient d'un sale œil car ils pensaient que j'avais porté plainte contre les houillères.

Quand je suis arrivé au palais de justice de Béthune, des policiers sont venus me chercher. Le juge m'a posé quelques questions puis il m'a montré des clichés photographiques en me demandant quelques explications, des secrétaires ont enregistré mes commentaires.

 

Le poste central de secours

A Eleu, dans la rue Notre Dame de Lorette, il y avait le poste central de secours. De temps en temps, des visites et des démonstrations étaient organisées pour tous les sauveteurs, les responsables de groupe et les chefs de taille. Des techniciens simulaient des coups de grisou et des coups de poussière, dans des tunnels aménagés. En fait, ils minaient dans un bloc de poussière qui s'enflammait et se transformait en une torche de dix mètres. C'était très curieux et très impressionnant à voir !

Souvent les agents de maîtrise étaient sauveteurs, seuls ceux qui avaient des soucis de santé ne pouvaient pas suivre la formation car certains exercices étaient très physiques

 

Charles

C'était important d'avoir des notions de sauvetage. Un jour, j'ai sauvé un autre camarade, en le faisant régurgiter, il s'étranglait avec sa chique !

 

Raymond

C'était vraiment astreignant d'être sauveteur, il fallait toujours être disponible. Je me souviendrai toujours lorsqu'on m'a demandé au 13 d'Hulluch de retourner au fond pour un exercice, après une dure journée de travail !

Je travaillais au poste du matin, après une journée de travail bien remplie, j'étais bien content de remonter. Comme d'habitude, je suis passé aux douches, puis je suis allé voir le chef surveillant pour lui rendre mon rapport, j'étais sur le point de rentrer chez moi, quand un gars est venu me voir et m'a demandé de me rhabiller et de redescendre pour un exercice.

 

Des accidents individuels

Il y en a eu des jambes cassées au fond ! On manipulait toujours du matériel lourd, le mineur qui recevait un étançon (les étançons servaient aux soutènements) ou une plume restait invalide pour le restant de ses jours.

 

Raymond

Un jour, au 13 d'Hulluch, j'ai eu un ouvrier blessé lors d' un convoyeur blindé. Il a marché dans un trou, son pied s'est pris sous la palette et a été traîné pendant quelques mètres. Je n'avais pas d'autre solution que de faire marche arrière pour lui sauver la jambe. Il fallait absolument faire quelque chose pour le sortir de là ! Finalement, on m'a reproché d'avoir fait une marche arrière !

Une reconstitution de l'accident a été demandée, heureusement, je n'ai pas eu de suite ! Dans les coups durs, il était naturel que l'on fasse tout pour secourir son camarade !

 

Prendre des risques pour gagner du temps

Raymond

L'air est fainéant, il circule mal au niveau des culbutes. Dans notre jargon " culbute " désigne un endroit de la galerie caractérisé par un dôme. Il fallait donc vérifier régulièrement la teneur en grisou dans toutes les culbutes. Avant la catastrophe, parfois on demandait à un gars en qui on avait confiance d'aller contrôler la teneur en grisou à telle ou telle culbute, si elle était à proximité de son lieu de travail, ça nous faisait gagner du temps ! On était véritablement pris par l'exploitation, quand on était responsable de quartier, le matin, le midi et le soir, il fallait assurer la production avec un certain rendement ! Par la suite, des systèmes de code obligeaient le mineur à parcourir lui même des kilomètres de galeries pour vérifier toutes les culbutes.

On avait toujours à l'esprit l'idée de rendement, il fallait faire avancer le chantier !

Avec du recul, quand on y repense, on peut dire que beaucoup de boutefeux ont pris des risques importants en minant quand la teneur était supérieure à 1. Bien sûr, ils mettaient toutes les chances de leur côté, en essayant de restreindre la galerie, avec des toiles pour détourner l'air et mieux aérer, mais ce n'était pas normal !

Si le boutefeu ne pouvait pas miner, tout le chantier était décalé, certains prenaient des risques, d'autres refusaient de miner et recevaient alors quelques remontrances.

Dans tous les cas, les mineurs devaient se montrer disponibles. Je me souviendrai toujours de l'année où j'avais acheté une caravane. Tous les samedis et dimanches, j'espérais partir dans la Somme souffler un peu, finalement jusqu'au mois de juin, je n'ai pas pu y aller, tous les samedis et dimanches, je devais descendre !

 

Des conditions de travail très pénibles

Raymond

Après la guerre les voies n'étaient pas encore électrifiées, les galibots qui poussaient les berlines attachaient alors leur lampe à leur ceinture. En avançant, ces lampes " américaines ", qui pesaient facilement trois kilos, venaient se claquer sur nos genoux. On avait les genoux tout bleus. Lorsque la berline sortait des rails, il fallait qu'on se débrouille pour la remettre en place, en fait dès leur plus jeune âge les mineurs travaillaient déjà beaucoup avec leurs reins.

Mes problèmes de hanche m'ont amené à travailler au jour après 25 ans de fond ! A un moment donné de leur carrière tous les mineurs avaient des problèmes de santé, que ce soit de dos ou des problèmes respiratoires avec la silicose, certains remontaient, d'autres terminaient leur carrière au fond et passaient 42 ans de leur vie à travailler sous terre.

Les conditions de travail variaient d'un chantier à l'autre, je me souviens particulièrement du 3 de Vermelles.

Depuis la fosse 13, on mettait une heure en train pour aller exploiter le 3. On descendait jusqu'à 1100 mètres de profondeur pour atteindre le chantier. Il faisait une chaleur étouffante, écrasante, et difficilement supportable lors du changement de ventilateur. En fait, des ventilateurs avaient été installés pour donner un coup de main au système d'aération. Il fallait vingt minutes pour faire les changements, pendant ces vingt minutes la température augmentait encore et atteignait jusqu'à 50°! Les risques de déshydratation étant élevés, on nous distribuait des pilules. La teneur en grisou, elle aussi grimpait de manière inquiétante jusqu'à 5% !

C'était vraiment de l'exploitation, d'autant plus que notre rémunération n'était pas à la hauteur de ce que l'on endurait.

 

Un record d'Europe, mais pas d'avancement pour autant !

Raymond

J'ai travaillé dans la taille 30 du 4 de Lens, c'était la fosse la plus performante de toute la région, j'ai même eu la chance de travailler où l'on a battu le record d'Europe de production. On produisait en moyenne 3000 tonnes par jour, ça a duré six mois ! Au 19 de Lens, c'était le branle-bas de combat, les gars n'arrivaient même plus à remonter notre production. Ils étaient obligés de travailler le dimanche. C'était une veine exceptionnelle, 200 mètres de long, sur deux mètres de hauteur. Mais il fallait quand même les sortir ces 3000 tonnes! Au bout du compte, quelle déception, à part le chef de chantier aucun ouvrier n'a eu d'avancement ! Il y a bien eu des primes mensuelles, mais elles étaient bien maigres !

C'était plaisant de travailler sur des bons chantiers, quand j'ai commencé au quinze de Loos-en-Gohelle, là aussi c'était formidable, la veine faisait 2m50 ! En fait, plus on descendait, plus l'exploitation était accidentée et plus le travail était difficile.

 

 

 

Pas de regret

Raymond

Malgré tout cela, je ne regrette pas d'avoir été mineur. Mon seul regret concerne la qualité des chantiers que l'on m'a confiés. J'ai terminé ma carrière dans un chantier difficile, une vraie galère.

 

Charles

Moi non plus, je ne regrette pas d'avoir été mineur. Il y avait une bonne camaraderie, quand l'un d'entre nous avait des problèmes, on allait lui donner des coups de main.

 

Rencontre avec Léon Simon

J'ai rencontré une petite bonne femme charmante, vive et souriante, qui fait de son mieux avec sa copine pour animer le " club de l'amitié " à Liévin. Lorsque j'ai évoqué le sujet des accidents individuels, ses pensées ont filé vers le souvenir de son père, accidenté grièvement, puis elles se sont fixées sur Léon Simon, son frère, la seule personne capable de me raconter les circonstances exactes de cet accident.

Attaché aux souvenirs de famille, et passionné par l'histoire du Bassin Minier, Léon Simon est heureux d'assouvir son désir de transmission chaque fois que l'occasion lui en est donnée. Dans son salon, un ordinateur, une imprimante, un scanner, une table de montage, un bureau, et des archives en pagaille, donnent le ton ! Retraité des houillères, cet homme mène une seconde vie de chercheur, d'écrivain et d'éditeur.

Au fond, comme au jour, dès son plus jeune âge, Léon Simon a été témoin d'accidents de travail souvent graves parfois mortels ! Par ses explications, il déjoue l'idée de fatalité de certains accidents.

 

Léon Simon

Après 3 ans au fond à travailler en tant que galibot, je suis entré à l'école professionnelle des mines de Oignies derrière la fosse 2. Une très bonne école qui formait des ajusteurs, des tourneurs et des chaudronniers, une école dans laquelle on apprenait à travailler au centième de millimètre. Au terme de ces deux années, j'ai obtenu mon C.A.P., qui équivalait à un bac technique actuel. J'étais très heureux car ce diplôme me permettait de travailler au jour !

 

Des accidents de travail souvent graves, parfois mortels.

Mon père

En 1940, mon père a été victime d'un accident assez dramatique au cours duquel il a perdu une main. Il était alors chef d'usine à boulets, son rôle consistait à superviser la production. Lorsqu'il y avait une panne, il fallait qu'il intervienne rapidement pour ne pas bloquer la production. Un jour, une chaîne à godets s'est bloquée, ça se produisait de temps à autre, il a coupé le courant mais n'a pas pris la précaution de retirer les fusibles, il n'en avait pas pour longtemps. Il est descendu dans une cave pour accéder à la chaîne, a passé la main dans une trappe pour dégager cette fameuse chaîne. Entre temps un ouvrier a remis le courant sans s'inquiéter de ce qui se passait ! Mon père a eu la main happée par un godet et il s'est senti entraîné. Comme sa main commençait à être broyée, il a tiré dessus pour la dégager. Le poignet a été écrasé, l'articulation fragilisée puis la main s'est détachée ! Toutes les veines pendaient. Sans perdre connaissance, il est monté sur une échelle toute droite, puis il a crié pour avoir du secours, mais les ouvriers qui le voyaient arriver dans cet état, paniquaient, s'apeuraient et se sauvaient plutôt que de lui porter secours. Par bonheur, son frère qui était ouvrier d'entretien dans cette usine est passé juste à ce moment là, il lui a posé tout de suite un garrot et l'a emmené à l'hôpital de Oignies. Pour faire un moignon, les médecins lui ont coupé l'avant bras à mi hauteur.

De mon temps, on avait l'ordre avant d'intervenir sur une machine, de couper le courant, d'enlever les fusibles et de les mettre dans sa poche, de manière à ce que personne ne puisse mettre la machine en route. Mais il se produisait quand même des accidents.

 

Un accident individuel mortel

Lorsque j'étais galibot, en fin de journée, on revenait tous à l'accrochage pour monter dans la cage qui nous ramenait au jour. La cage de la fosse 14 comportait deux étages, lorsque le premier étage était complet, l'homme préposé à son fonctionnement (l'emballeur) devait sonner pour la faire monter d'un étage de manière à remplir le 2nd plateau. Le dernier mineur venait de franchir le seuil, la porte commençait à se refermer lorsque tout à coup, sans qu'aucune sonnerie n'ait retenti, la cage est remontée brusquement. L'ouvrier s'est trouvé projeté brusquement à l'intérieur de la cage. Immédiatement l'emballeur a sonné l'arrêt et l'a fait redescendre. Stupéfaction la porte avait été broyée en tapant sur une entretoise, l'ouvrier l'avait reçue de plein fouet : son corps était penché sur la tôle pliée, les bras pendants.

Il a été tué sur le coup, aujourd'hui encore, je revois l'expression de mes camarades, le contraste, la couleur blême qu'on apercevait sur certaines parties de leur visage faisait un contraste surprenant avec les parties noires recouvertes de poussière de charbon. J'étais tout gamin mais je m'en souviendrai toute ma vie. Tout le monde a poussé un cri de stupeur en voyant arriver la cage. Ce mineur était à huit jours de la retraite.

 

Au fond, comme au jour, il se produisait régulièrement de graves accidents

 

Un homme happé par la chenille d'un bulldozer

Lorsque j'occupais le poste d'ajusteur, de temps à autre, j'allais au terril de la fosse 10. A l'époque, les responsables voulaient monter un terril conique. Parfois les schistes étaient tellement mouillés que le terrain devenait mouvant. Si l'on restait sur place dix minutes, nos pieds s'enfonçaient de dix à quinze centimètres.

Des bandes transporteuses placées en file indienne avaient été installées pour faciliter la circulation des schistes et un bulldozer venait les tasser et les étaler régulièrement. Au début, les ouvriers faisaient attention et ne s'approchaient pas de l'engin. Puis l'habitude aidant, on ne faisait plus trop attention, on passait de plus en plus près. Un jour, un ouvrier s'est fait happer et emporter par la chenille du bulldozer, l'engin lui est passé sur une moitié du corps ! Fort heureusement comme les schistes étaient mouvants, son corps s'est enfoncé ! Il a eu la vie sauve mais néanmoins des séquelles importantes.

 

La manche accrochée par un agrafage

Au terril de la fosse 10 de Oignies vers les années 1965, 1966, un autre accident est survenu avec les bandes transporteuses qui servaient à évacuer les schistes. Quelques ouvriers devaient charger la toile pour évacuer les schistes. Par temps de pluie, le poids était tel que le rouleau d'entraînement patinait, ce qui ralentissait le transport. Pour éviter ce ralentissement, un ouvrier avait trouvé une astuce, il ramassait des poussières qu'il jetait entre la bande et le rouleau. Avec l'habitude, il approchait le bras de plus en plus près, jusqu'au jour où il s'est fait accrocher la manche avec un agrafage. Son bras s'est trouvé entraîné puis il est venu se coincer entre le rouleau et la bande ! Il a eu le bras arraché.

Cet accident m'a rappelé l'accident de mon père !

 

Un travail pénible

A la fosse quatorze le charbon était maigre, c'est à dire peu grisouteux, par contre c'était une fosse très poussiéreuse. A l'époque, on ne prenait pas la précaution de faire des injections, c'est à dire de faire un forage dans le charbon pour envoyer de l'eau sous pression. L'eau projetée permettait de craquer la veine et de noyer le charbon, de telle sorte que l'abattage soit moins poussiéreux.

 

Le porion vexé

Quand j'étais galibot (en 1945), un porion est venu me signaler qu'il fallait que j'aille à l'étage 400 pour remplacer un camarade dans une taille pour effectuer un barrage. Il m'a conseillé de me placer au milieu de la taille et de me glisser sur le dos en descendant pour travailler, il n'y avait que cinquante à soixante centimètres de hauteur.

Quand je suis arrivé je me suis aperçu que la voie qui devait suivre la veine était un peu en retrait, il y avait un décalage qui se répercutait sur la taille, il fallait donc enjamber du matériel, ce qui rendait l'accès très difficile.

En fin de journée, quand j'ai revu le porion, il m'a demandé " alors, tu as trouvé la taille " je lui ai répondu " oui ", et j'ai ajouté " ça a été très bien , mais seulement, la tête de taille quel labyrinthe ! ", qu'est ce que je n'avais pas dit là, il s'est vexé ! " Ma taille, un labyrinthe ? Eh bien, pour ta peine tu y resteras ! ".

Effectivement, je suis resté durant six mois au milieu de 40 marteaux piqueurs, actionnés par des prisonniers allemands qui étaient placés là dedans, tous les 5 mètres pour faire de l'abattage. Le bruit était monstrueux ! La poussière était d'une telle densité qu'à un mètre de ma lampe, je ne voyais qu'une toute petite lueur !

 

L'éboulement était toujours à craindre

Un jour quand on est arrivé sur le chantier, le foudroyage n'avait pas été fait pendant la nuit. J'étais placé entre deux piles pour faire mon barrage, la déclivité était très forte, sans barrage, le charbon serait tombé en bas à une vitesse folle. Il fallait donc le caler pour le débloquer petit à petit.

En début de journée, j'ai commencé à entendre des craquements, je suis sorti des piles, pour me plaquer du côté de la veine. Puis, j'ai entendu un grondement, un peu comme s'il y avait de l'orage, des cailloux ont commencé à tomber un peu plus haut et tout s'est effondré de toute part. Il faisait une poussière à couper au couteau, tout tremblait, on était tous recroquevillés du côté de la veine, le béguin plaqué contre le nez pour filtrer un peu la poussière, lorsque le grondement s'est arrêté, on a observé que de notre côté, il n'y avait pas trop de dégâts, mais l'autre côté (entre les piles) était comblé de terre, ça aurait pu très bien venir au raz de la veine et tuer tous ceux qui étaient là ! L'éboulement était toujours à craindre !

Il fallait être attentif au moindre signe, un filet de poussière pouvait annoncer un éboulement, rien n'était anodin !

Un jour, j'étais accroupi en train de faire du remblai avec une pelle, quand soudainement, une plaque de deux mètres de long m'est tombée sur le dos. Le choc ne s'est pas trop répercuté parce qu'elle s'est cassée en deux, mais j'ai eu très peur !

La plupart des accidents étaient provoqués par des éboulements. Le boiseur avait une sacré responsabilité. Le changement de matériel, et l'avancement des havés se faisaient la nuit de telle sorte que le matin et une partie de l'après-midi soient consacrés à la production.

 

Des conditions de travail épouvantables en atelier

Le bruit c'était quelque chose ! Les machines sifflaient et les ventilateurs faisaient un bruit effroyable.

Je me souviens qu'un jour, on m'avait envoyé derrière la fosse saint Henriette au pont des 28 pour monter quelques escalators avec mon équipe. Face à l'affluence des commandes, on manquait de place dans les ateliers de Billy- Montigny ! En tant que responsable, j'ai tout de suite remarqué que l'espace n'était pas du tout adapté pour monter des escalators, il manquait de la lumière, on n'avait pas d'eau, même pas pour se laver les mains, il n'y avait pas de réfectoire, pas de chauffage. En période de froid, il faisait moins 15°degrés, nos clés étaient glacées dans nos doigts et par temps de pluie, il pleuvait abondamment dans l'atelier. Etant responsable, je suis intervenu auprès du technico-commercial. Je me rappelle qu'il me voyait d'un mauvais œil comme si j'étais un représentant syndical, mais je ne réclamais qu'un agencement normal ! Un ouvrier passait quasiment tout son temps à s'occuper des braseros (des feux de l'atelier), ensuite on me reprochait de ne pas pouvoir respecter les délais.

Heureusement, par la suite des efforts ont été faits, mais vraiment au compte goutte.

 

La course à la production

La course à la production a engendré une légion de silicosés, les hommes avaient passé quatre ans de privation pendant la guerre et après on leur demandait de travailler comme des surhommes ! C'était aberrant ! En leur offrant des primes en nature (vélo, cochon), on leur mettait une carotte au bout d'un bâton pour les motiver.

Finalement beaucoup d'hommes sont tombés au champ d'honneur !

 

La Silicose, accentuée par la mécanisation

Autrefois, les mineurs abattaient le charbon au pic, il y avait donc beaucoup moins de poussière. Ensuite, il y a eu le marteau piqueur qui fonctionnait à air comprimé, à la sortie du piston, l'échappement propulsait l'air et tapait dans la poussière. Dans une taille où il y avait quarante marteaux piqueurs, la poussière était dense et omniprésente.

Quand on remontait, deux thermomètres énormes au dessus de la lampisterie affichaient le niveau de la production de la fosse et le niveau de la production du Nord Pas-de-Calais pour nous inciter à produire plus et atteindre les 100 000T , c'était ça la bataille du charbon ! Même entre camarades, il y avait une compétition qui s'installait, chacun surveillait le nombre de berlines produites par son camarade.

 

remerciements

 

Louis

André

Raymond

Charles

Léon

Et Madame X pour son témoignage anonyme

 

Cet ouvrage a été réalisé à l'occasion du funèbre anniversaire de la catastrophe de Courrières survenu il y a un siècle.

L'ECLID (Espace Culturel Lirdeman) et Culture Commune, Scène Nationale du Bassin Minier du Pas-de-Calais, se sont associés pour impulser, à travers ce travail réalisé par Laurence Masse Traversi, des débats concernant la dangerosité du métier de mineur depuis 1906.

Un grand merci à la Maison Syndicale du Mineur de Lens et à l'association H.A.D. Douvrin.